Région – plénière du 24 juin 2019 – Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel
Loi avenir professionnel du 5 septembre 2018 : le rôle d’orientation et d’information aux élèves de la Région est renforcé, mais elle perd la compétence sur l’apprentissage.
Les objectifs de la majorité :
Immersion : plus (+) de collégiens et de lycéens dans les entreprises, plus (+) d’entreprises dans les collèges et les lycées;
territorialisation de la politique qui va différer selon les territoires ;
des procédés plus « ludiques », afin que ce soit plus fluide pour les parents ;
mutualisation des expérimentations réalisées par les EPCI, comme les bus de l’orientation à Évreux.
Les moyens :
- Un site internet qui mutualisera l’ensemble des stages de la Région. Le but est d’éviter l’obtention d’un stage par le réseau des parents. Les élèves pourront choisir librement un stage. Les entreprises vont jouer le jeu parce qu’elles seront très fortement incitées à le faire, via les marchés publics, la valorisation dont elles feront l’objet dans les contrats de filières, les contrats de branches. Les entreprises ne pourront pas dire qu’elles ne sont pas attractives et ne pas jouer le jeu. La région sera le réseau de celui qui n’en n’a pas…
- Ouverture de l’ensemble des plateaux techniques (des lieux aménagés et équipés pour recréer les conditions d’un véritable chantier professionnel) dans les CFA et lycées professionnels. Dès cette année pour les demandeurs d’emploi, et dès l’an prochain pour tous les publics. Les plateaux techniques tourneront toute l’année pour permettre de découvrir des métiers pendant une journée ;
- Un accueil physique dans les EPCI qui signeront une convention. L’information se fera par téléphone dès septembre, et sera élargi aux mails et chats ;
- Développement de techniques virtuelles, d’un salon virtuel et de conférences animées ;
- Des clips vidéo de présentation des métiers seront diffusés dans les bus et les trains de la région ;
- Une fête des métiers dont le support sera les olympiades des métiers ;
- Des cafés pour les parents qui viendront s’informer ou présenter leurs métiers ;
- Transmission des savoir-faire par les retraités aux collégiens ;
- Signature de contrats avec toutes les branches ;
- Création d’une agence territorialisée pour l’information des décrocheurs et étudiants.
Une belle liste de dispositifs pour l’information et l’orientation, dont beaucoup très virtuels. On espère qu’ils n’aboutiront pas sur des formations et des emplois virtuels.
On peut tout de même s’inquiéter de l’ouverture des plateaux techniques des lycées, qui restent des lieux « sanctuarisés », sécurisés, et réservés aux élèves et apprentis. Peut-on ouvrir les plateaux techniques des lycées à tous les publics, alors qu’ils sont en vigilance vigipirate sécurité renforcée ?
Pour ce qui est d’un site internet pour lister les stages à l’échelle régionale, c’est une bonne initiative. La Région veut devenir « le réseau de ceux qui n’en n’ont pas ». Ce qui signifie que la Région ne compte pas mettre fin aux réseaux, du moins pour ceux qui en ont.
La formule de M. Margueritte : « plus (+) de collégiens et de lycéens dans les entreprises, plus (+) d’entreprises dans les collèges et les lycée », associée à une volonté de territorialiser les formations est plus inquiétante :
En effet, la loi du 5 septembre 2018 qui conduit à cette situation s’appelle « loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel « . Mais la liberté de choisir sa formation s’arrête à la possibilité d’accéder à une formation.
Si l’on territorialise les offres de formations pour les faire correspondre aux besoins du marché d’un bassin d’emplois, avec des entreprises qui « commandent » des formations pour leurs besoins à moyen terme. Bref, que ce ne soient plus les jeunes qui choisissent leur formation, mais les entreprises qui choisissent des catalogues de formations adaptées à leurs besoins.
Que l’on permette l’immersion des jeunes dans les entreprises, c’est une excellente initiative. Dans la vidéo ci-dessous, M. Morin explique : « cette politique régionale vise à mettre en adéquation les compétences des Normands et les besoins des entreprises ».
A la fin de l’année, la Région perd la main sur l’apprentissage, ne gardant que l’information et une partie de l’orientation. Une partie reste à l’État (ONISEP) et la compétence des collèges reste attribuée aux départements. Ils n’y ont pas pied. Et la Région ne discute pas avec les professeurs principaux : ni dans les lycées, encore moins dans les collèges.
Ce sont donc les branches qui récupèrent la compétence de l’apprentissage. La régulation des CFA par la région s’éteint, et désormais, n’importe quel organisme pourra implanter un CFA n’importe où, et pourra adapter les formations en fonction de la demande, sans autorisation administrative.
La concurrence public/privé penchera donc vers le privé, et l’intrusion du privé dans le public ne pourra que renforcer cet « adéquationisme » qui est dans toutes les bouches.
Or, les lycées veulent conserver leurs savoir-faire, mais aussi leurs plateaux techniques. D’où un poids de plus en plus lourd des entreprises dans le public.
Toute la question est là : la formation, c’est pour les jeunes qui souhaitent se destiner à une carrière ; ou à destination des entreprises qui ont besoin de compétences selon les bassins d’emplois ?
Le président de Région est un être pétri de contradictions.
Faisant le constat d’une région où le taux d’élèves diplômés du supérieur est inférieur à la moyenne nationale, il veut accompagner les jeunes dans leur orientation, avec des expériences immersives en entreprises, qui mette en adéquation les formations et les besoins des entreprises du bassin d’emploi, permettant à celles-ci de trouver localement les qualifications dont elles ont besoin.
Ils ont besoin de formations supérieures, mais aussi de personnel pour toutes les tâches. Des mieux payés aux moins bien rémunérés.
Faisant le constat d’une reproduction sociale, « dis-moi ce que font tes parents, je te dirai ce que tu feras comme études », d’une région qui n’a jamais connu de proportion aussi faible de jeunes de milieux modestes accédant aux études supérieures, il fait le pari d’une immersion en entreprise, pour des études plus courtes.
Certes, des qualifications, mais ne peut-on pas, ainsi qu’il le propose avec la culture de l’ambition, faire en sorte que la Région aide à informer sur ces études plus longues, et surtout informe les familles sur ces études, et les aide pour que celles qui n’en n’ont pas les moyens puissent y avoir accès. Ce sont des besoins en transports, en logements, et disons-le, des besoins financiers.
M. Morin nous interpelle sur l’évolution des élèves de Science-Po. Il connaît particulièrement bien cette école dont il est sorti diplômé.
Il y a 20 ans, ce n’étaient que des fils de bourgeois, nous dit-il, dans un entre-soi absolu. Il a fallu un homme pour que la situation change et ouvrir l’école aux jeunes des quartiers. Le problème, c’est de partager la même ambition quelle que soit l’origine sociale.
Encore faut-il en avoir les moyens. Les familles modestes n’habitent pas forcément au pied de l’université ou de la grande école que leur enfant a choisie.
Aussi, quand l’enfant a un BTS, oui, c’est déjà une réussite pour une famille dont les parents n’ont pas forcément le BAC, mais qui n’avaient sans doute pas les moyens d’investir dans des études longues pour leurs enfants.
Dans un pays qui se « regorge d’inégalité » – dixit M. Morin -, la plus grande inégalité, elle est là, nous dit-il. Et que l’information et l’orientation peut les aider à accéder à ces études supérieures. Science-Po, médecine, écoles d’ingénieurs…
Mais les familles modestes peuvent avoir toutes les informations sur la dernière Ferrari ou la Tesla, ce n’est pas pour cela qu’il peuvent se l’acheter.
« Le seul fait que madame Sanchez dise des emplois peu qualifiés comme l’hôtellerie, la restauration et l’industrie. Ben non, c’est des emplois qualifiés ! Si vous avez dit ça ».
Ce qu’elle a dit, en vérité, c’est : « des emplois peu qualifiés qui peinent à recruter du fait de salaires qui manquent d’attractivité. L’hôtellerie, le bâtiment, le service à la personne. Évidemment, ils sont très utiles, mais comment les proposer dès le collège en allant promouvoir ces filières, et en même temps, c’est toujours ce grand écart, dire : il faut élever le niveau de tous, il ne faut pas d’assignation sociale. »
Hervé Morin : « Mon père était maçon, il a été heureux le jour où j’ai été fonctionnaire. Et bien, il aurait pu être heureux normalement que je devienne maçon aussi. »
M. Morin a fait de hautes études, notamment à Science-Po, a connu toutes les strates de la politique, député de 2002 à 2016, ministre de la défense, et aujourd’hui président de la Région Normandie.
Heureusement, avec la formation professionnelle tout au long de la vie que nous espérons tous de nos vœux, il resterait toujours la possibilité pour M. Morin de devenir maçon.
L’apprentissage passe au privé et aux branches.
Même si la Région a perdu la compétence sur l’apprentissage, la Région doit-elle abandonner la garantie sociale qui permet d’aider au transport et au logement pour l’apprenti ? Cette aide leur permet de ne pas abandonner leurs études.
Tous les groupes dénoncent le transfert de compétence organisé par le gouvernement Macron. « On passe de la formation initiale à la formation professionnelle ».
En conséquence, le gouvernement retire la compétence aux régions pour la confier aux entreprises et aux branches. La régulation des CFA par la Région disparaît, la gouvernance sera assumée par l’État, le patronat, les partenaires sociaux et la Région.
Désormais, les CFA seront financés au contrat, et non par une subvention de la région. Ce sont les branches qui détermineront le coût-contrat d’un diplôme ou titre professionnel.
Ce sont également les branches qui désormais rédigeront les référentiels d’activités et de compétences des diplômes, ainsi que les règlements d’examens. Ceci afin d’adapter la formation aux besoins des entreprises.
Pour l’instant, l’apprentissage est financé par la taxe d’apprentissage que payent les entreprises : 1,6 Md € reversés aux régions. Elle sera remplacée par une contribution alternance, qui financera les CFA par contrat.
Là encore les entreprises seront les grandes gagnantes puisque que la taxe alternance ne représentera plus que 250 millions €. L’autre partie, 180 M€, étant financée par la TIPCE.
Les entreprises bénéficieront d’une aide à l’embauche, 6000 € par contrat pour 2 ans.
Le reste à charge pour l’entreprise sera diminué de 100 € par mois. C’est l’État qui finance, mais c’est la Région qui distribue. Celle-ci pourra augmenter son aide aux entreprises, ou bien continuer l’aide aux apprentis afin de les aider dans la prise en charge des transports et/ou du logement.
C’est dans ce sens que les conseillers régionaux PCF, PS et écologistes ont demandé d’œuvrer.
Pour Guy Lefrand, les collectivités qui ont fait un effort d’accompagnement dans les lycées professionnels auront un coût par contrat 7 à 8 fois plus cher, ce qui pourrait se conclure par une réduction drastique du nombre d’apprentis dans les collectivités (divisé par 10).
David Margueritte estime que cette réforme de l’apprentissage est une blessure. Mais la Région ne pourra plus accompagner les apprentis. Au vu des négociations avec l’État, l’enveloppe de 250 millions annoncée initialement sera en réalité beaucoup plus faible. Et elle est fléchée pour l’aménagement du territoire et le développement économique.
La Région sort des dispositifs de soutien aux transports d’hébergement et de restauration. Les système de transports, pour l’Eure et la Manche, c’est fini.
La Région ne pourra pas la financer, et ce n’est plus sa compétence. C’est désormais aux branches de le faire, si elles le souhaitent.
Les CFA agricoles seront les plus en difficulté, dès l’an prochain. Selon M. Margueritte, les entreprises privées vont investir dans des CFA qui vont se construire très vite, c’est la dérégulation la plus complète, notamment là où les plateaux techniques sont peu coûteux – les services – et délaisseront les investissement qui nécessitent des plateaux techniques les plus coûteux – le bâtiment. C’est une logique de court terme qui se met en place, avec un apprentissage à plusieurs vitesses.
Les coûts au contrat seront bien supérieurs aux coûts préfecture qui courent sur une période de 3 ans après la signature d’un contrat d’apprentissage. Il y aura donc distorsion de concurrence entre le privé et les CFA financés par le public.
L’apprentissage public, c’est la zone qui n’a pas été traitée par le législateur. Il n’y a pas de financement prévu aujourd’hui sur cette question.
L’an prochain, l’apprentissage passe au privé. Les aides à la restauration, l’hébergement et aux transports dépendront de la bonne volonté des branches.
C’est un sale coup pour l’apprentissage public. Cela risque fort de l’être tout autant pour les apprentis.